L’hôpital universitaire de Kairouan, financé par l’Arabie saoudite à raison de 85 millions de dollars (près de 270 millions de dinars), n’a toujours pas vu le jour. Pourtant, les promesses relatives à la réalisation de ce projet de grande envergure fusaient de toutes parts. Quelque 600 mille habitants de la région et plus de 3 millions de citoyens vivant dans les gouvernorats limitrophes de la capitale des Aghlabides sont dans l’expectative et cultivent l’espoir de bénéficier d’une structure hospitalière digne de ce nom. Si la version officielle attribue le retard enregistré à des difficultés purement techniques, du côté de la société civile, l’on pointe du doigt des « forces invisibles » qui auraient empêché le passage à l’action.
Toujours la même rengaine, s’agissant de la concrétisation de grands projets fort utiles à la dynamisation économique des régions les moins nanties du pays. Autorités officielles et bureaux d’études se renvoient la balle, les repères sont brouillés et l’on ne sait plus à quel saint se vouer. L’hôpital universitaire de Kairouan du nom du Roi Salmane serait, de ce fait, un cas édifiant. Le 26 février 2020, des contrats ont été signés avec des bureaux d’études saoudiens pour la construction et l’équipement de trois hôpitaux en Tunisie, dont l’hôpital universitaire de Kairouan. Le démarrage effectif des travaux était prévu immédiatement après la signature des contrats. Or, à ce jour, on n’a fait que reporter sine die le démarrage de ces mêmes travaux.
Pour revenir aux raisons du retard qu’accuse ce grand projet, le CHU de Kairouan, le directeur régional de la santé, Mouammar Hajji, contacté par La Presse, évoque des données purement techniques. Selon lui, la pandémie du coronavirus, le partage des attributions entre les administrations en fonction des prérogatives de chacune et le cumul de litiges administratifs ont constitué autant d’obstacles sur la voie de la réalisation.
« La concrétisation d’un projet d’une telle envergure n’est pas une sinécure. Il a fallu d’abord préparer le terrain et réunir les conditions nécessaires, notamment parachever les aspects légaux, fonciers et financiers. Il a donc fallu multiplier les réunions, les reports, les pauses puis les reprises», explique le directeur régional de la santé.
L’autorité de tutelle se dit confiante
Evoquant un avancement de l’ordre de 80% de l’étude relative au volet sécuritaire, à l’électricité et aux fluides, le responsable régional se félicite du cap atteint, à l’issue de la tenue de plusieurs ateliers, suite auxquels ont été retenus quatre grands constructeurs saoudiens.
« Je tiens à préciser que quatre candidats saoudiens parmi plus de 50 candidats du même pays ont été récemment retenus dans la short-list, en fonction d’un ensemble de critères ayant trait à la technicité et à la capacité financière. Au niveau de l’Unité de gestion et de suivi des projets financés par des dons et des prêts étrangers, on optera pour le moins disant, conformément à la loi tunisienne », détaille le directeur régional.
Émettant, au demeurant, un message d’espoir, le responsable régional s’attend à ce que les travaux démarrent officiellement au cours du premier trimestre de 2024. De ce point de vue, il révèle qu’il est en train d’exercer une forte pression sur toutes les parties prenantes, en vue de les pousser à accélérer la cadence et passer enfin à l’action.
A qui profite le crime ?
Du côté de la société civile, une conviction prend le dessus sur tout. Il y aurait « des forces invisibles » et « des lobbies » qui ont intérêt à tuer dans l’œuf un projet qui nuirait à leurs intérêts.
Dans cette optique, l’activiste le plus en vue de la société civile kairouanaise, Samir Fayala, dit avoir vainement exercé toutes sortes de pression afin de pousser vers la mise en œuvre effective de l’hôpital universitaire de Kairouan tant attendu non seulement par les habitants de la ville et des plaines kairouanaises, mais aussi par les Tunisiens des gouvernorats limitrophes. Il se désole de s’être heurté au mur des « lobbies puissants ».
« Ce n’est pas un secret. Nous les kairouanais et bon nombre de Tunisiens savons à qui profite le blocage du projet. Il suffit de voir qui sont les concurrents directs d’un hôpital universitaire d’une capacité de 500 lits et qui se veut à la pointe de la technologie, pour déterminer qui est en train de mettre des bâtons dans les roues », pointe l’activiste associatif.
Après avoir créé, il y a plus de quatre ans, la coordination «Wino Essbitar?» (Où est l’hôpital ?) qui organisait des sit-in et des marches de protestation, fustigeant la lenteur et la lourdeur administratives ainsi que cette désinformation ambiante, Samir Fayala a été taxé de régionaliste et de clivant.
« Quand je défends mon droit et celui de mes concitoyens issus de la même région, on m’accuse à tort d’être régionaliste, s’insurge-t-il. Il vaut mieux attaquer l’origine du mal et l’éradiquer à la racine au lieu de maintenir le flou. Quand je me trouve obligé de faire 60 km pour aller me faire soigner de manière correcte, quand mes enfants doivent parcourir de longues distances pour rejoindre une bonne université, et que je critique ce fait accompli, et je défends mon droit à une vie décente », argumente Fayala.
Ce dernier dénonce, de surcroît, une «manipulation des masses » qui ne fait qu’aggraver « la misère globale d’une région».
Il a suffi d’une photo
Une photo récemment diffusée sur les réseaux sociaux montrant une porte principale portant l’indication “CHU Roi Salmane” sur un vaste terrain vague, a suscité ricanements et moqueries sur les réseaux sociaux. Dans un communiqué, et en réponse à la campagne de dérision relayée sur la Toile, le ministère de la Santé a assuré que les travaux d’aménagement de l’espace réservé à la construction du Centre hospito-universitaire (CHU) Roi Salmane à Kairouan devaient démarrer au cours du même mois : «Le ministère a entamé l’aménagement de l’espace en coordination avec ses partenaires publics, pour le raccorder aux réseaux d’électricité, du gaz, de l’eau et de l’assainissement et a identifié l’entrée principale; et ce, sur demande du bailleur de fonds en attendant le démarrage effectif des travaux de construction au cours de la prochaine période…», lit-on dans ce communiqué.
Selon la même source, le bailleur de fonds saoudien était en train de finaliser la dernière phase des études techniques nécessaires pour garantir la conformité de l’établissement aux standards internationaux de sécurité.
Il a suffi d’une photo pour déclencher une campagne de sensibilisation, éveiller les consciences et lever les obstacles.
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